55 minutes de théâtre que vous n'oublierez jamais

Le coup de cœur du Club de la Presse au Festival d'Avignon a été décerné à une pièce belge "Sans racines et sans ailes", parmi plus de 900 spectacles présentés


Confrontation entre un père et son fils. Conflit idéologique. Situation délicate. Le père, immigré, est arrivé ici, dans son pays d’accueil, enfant. Il a intégré les mœurs européennes et, malgré les comportements racistes auxquels il doit parfois se confronter, se sent porté par un souffle libertaire, celui des Lumières. Au contraire, le fils, né dans ce pays, effectue un repli communautaire fort, sa quête d’origines et de racines se traduisant par un fanatisme religieux, condamné par le père.

Thèmes universels

A l’origine de ce dialogue, Hamadi, alias Mohammed El Boubsi, qui livre le troisième volet de son triptyque consacré à des thèmes à la fois intimes et universels, religieux et identitaires - après "Papa est en voyage" et "Dieu ? !". Quand nous l’avions rencontré en septembre (LLB du 19/9/2008), Hamadi avait présenté "Sans ailes et sans racines" comme "un dialogue entre un père et son fils sur la transmission de la mémoire et sur les choix de vie. [ ] Des questions qui sont de vrais enjeux aujourd’hui."

Si la pièce émeut autant, ce n’est pas seulement pour les thèmes abordés, terriblement actuels, mais aussi pour le duo d’acteurs. Car le personnage du fils est incarné par Soufian El Boubsi, le fils d’Hamadi.

Dans une mise en scène sobre, les deux acteurs jouant sur et autour de deux hauts tabourets, concrétisent leurs désaccords idéologiques par leurs costumes, une veste noire pour le père, une tenue d’islamiste blanche pour le fils. Sans artifice, la voix portée et le sens résonnent. De jeux de regards en jeux de lumières, la tension monte sur scène, et la confrontation explose parfois pour mieux laisser la place aux vérités chuchotées, bien plus blessantes que les cris. Autour de grandes questions contemporaines, la femme, la religion, la liberté, le communautarisme, l’intégration, le "choc des civilisations", les sociétés, les modes de vie, le père ouvert et le fils fermé, s’affrontent. Pourtant, loin de cataloguer les différences et les problèmes supposés entre musulmans et laïcs, entre Orient et Occident, etc., Hamadi et Soufian El Boubsi confèrent aux propos resserrés en une heure une incroyable intensité, tout en laissant place aux silences chargés d’émotion.

A travers cette pièce profonde et belle, c’est une pensée sur l’exil qu’offrent le père et le fils. Une pensée qui interroge sur la création de ce fossé intergénérationnel vécu comme une défaite pour les pères et du repli communautaire à l’heure des rassemblements fédérateurs. Une pensée sur les hommes, pour les hommes. Un appel à l’amour.

La Libre Belgique - 16/1/2009 - Camille Perotti

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