Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Une équipe en parfaite osmose. Un jeu de rôles complexe où réalité et fiction se mêlent. Un jeu de dupes qui mystifie constamment le spectateur.

Il y a des soirs comme ça où le traditionnel salut des premières, rassemblant sur le plateau acteurs, auteur, metteur en scène et collaborateurs divers a vraiment sa raison d'être. Des soirs où les applaudissements du public vont indistinctement aux uns et aux autres tant il semble impossible de dissocier les différents membres d'une équipe en parfaite osmose.

C'est très exactement ce que l'on ressentait mardi soir, au théâtre du Méridien, à l'issue de la première représentation du « Roi Lune », spectacle mettant en scène Louis II de Bavière, son amant-espion et un ministre de son gouvernement. Cette nuit-là, Louis II, le roi fou, le monarque fasciné par les arts et dégoûté par les petites magouilles humaines, apprend la mort de Richard Wagner. Entre la douleur qu'il ressent et le dégoût que lui inspire le ministre qui vient lui annoncer la nouvelle, Louis II imagine un jeu de rôles : le procès du roi. Renversant les places, il se mue en accusateur, fait jouer son personnage par Ludwig, son amant, et ordonne au ministre de se muer en avocat de la défense...

Mais ce jeu de rôles est encore bien plus complexe qu'on l'imagine et l'on découvrira bientôt que la frontière entre réalité et fiction est ici particulièrement poreuse.

Le premier responsable de la réussite de mardi soir est sans nul doute l'auteur, Thierry Debroux.

Acteur, metteur en scène, le gaillard est aussi un as de la plume et ce « Roi Lune » l'une de ses plus belles réussites : portrait d'un homme d'exception, discours sur le théâtre, sur les hommes politiques, sur le mensonge, la force de l'art... Loin de se contenter d'une pièce historique, Thierry Debroux nous entraîne dans un formidable jeu de dupes où le spectateur lui-même est constamment mystifié.

Après, notamment, « Le livropathe », autre formidable réussite, Debroux retrouve ici Frédéric Dussenne à la mise en scène. Une mise en scène sobre, sans effets de manche, mais d'une précision diabolique. Les costumes de Lionel Lesire situent les personnages dans un passé indéfini. Imaginée par Marcos Vinals Bassols, la scénographie est basée sur une immense table de banquet occupant tout le centre de l'espace et conditionnant tous les déplacements des acteurs. Ceux-ci baignent dans les lumières de Renaud Ceulemans qui réinvente la nuit et fait ressortir avec talent chacun des personnages.

Ceux-ci enfin sont campés de manière magistrale par trois comédiens. Alexandre Tissot est Ludwig, ambigu, séducteur, doté d'une formidable présence dans un rôle qui pourrait être écrasé par les deux autres. Julien Roy est Louis II, mystérieux, secret, violent, plaintif, gamin, exalté. Il parvient à visiter tous ses états sans jamais tomber dans la caricature. Benoît Van Dorslaer, enfin, est le ministre, tantôt effrayant, tantôt hilarant, souvent les deux à la fois, il est irrésistible de bout en bout.

Mais la vraie réussite du spectacle ne tient à aucun de ces participants mais à l'alchimie parfaite qui s'opère entre eux tous et mène à l'image finale, pleine d'une poésie, qui renvoie aux rêves de l'enfance et à ceux d'un roi qui croyait à la beauté de l'art plus qu'à la puissance des armées.

Le Soir - 2/5/2005 - Jean-Marie Wynants

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