La trentième tournée des Châteaux
avec la pièce fondatrice du théâtre de Feydeau!

Qu’est-ce qui fait courir les personnages de Monsieur chasse! ? Qu’est-ce qui les fait s’emberlificoter dans les quiproquos, les mensonges de plus en plus énormes, les coups de théâtre dont le dénouement final laisse spectateurs et personnages abasourdis ? Le désir...


C'est dans la charmante cour de la Ferme du Maïeur, à Blehen (Hannut), «village fleuri d'Europe» et «république libre», que nous avons découvert le nouveau spectacle estival de la Compagnie des Galeries. Par ces temps d'actualité sombre et troublée, voici le prototype du vaudeville à caleçons, avec portes qui claquent, maris volages et épouses vengeresses. Ciel, mon mari!

Créé en 1892 à Paris au théâtre du Palais-Royal, «Monsieur chasse!» fut le premier grand succès commercial de l'auteur. Cette imparable mécanique à faire rire servit de modèle à toute la suite de son œuvre. Bernard Lefrancq en donne une mise en scène en costumes et mentalités de l'époque, ce qui ne va pas sans certains décalages qui font rire jaune: «Il n'y a même que dans ces courts instants où la femme ne pense plus du tout à ce qu'elle dit qu'on peut être sûr qu'elle dit vraiment ce qu'elle pense…», s'exclame notamment le séducteur face à la créature qui lui résiste, provoquant un sacré remou parmi les spectatrices.

Le comique de la sincérité
Parmi les abondantes didascalies de Feydeau, on trouve cette phrase: «Toute cette scène, depuis le commencement, doit être jouée par Moricet avec la conviction la plus absolue et la chaleur la plus grande, tout le comique étant dans la sincérité.» Eh bien, on ne fera certainement pas grief à Pierre Pigeolet d'en manquer. Il se démène sans compter d'un bout à l'autre de ces deux heures de spectacle, imprime le rythme qui se veut vif et primesautier.

Comme tous les héros de comédie, son Dr Moricet est le dindon de la farce. Il ne parviendra pas à ajouter le nom de l'appétissante Mme Duchotel à la liste de ses conquêtes. Perrine Delers a vraiment le physique de l'emploi pour cette Léontine vertueuse et un tantinet naïve. Seule peut la faire basculer la conviction que son propre mari la trompe. Or ce dernier - épatant Michel Poncelet - s'adonne régulièrement à la chasse avec son ami Cassagne, ramenant des trophées qui défient les lois de l'art cynégétique: une pleine bourriche de lapins et de lièvres ensemble, par exemple. «Il n'y a qu'un endroit où ces deux rongeurs se trouvent réunis. C'est chez le marchand de comestibles», ne se fait pas faute de préciser le candidat amant.

Bref, toute la distribution se retrouve bientôt dans un immeuble à garçonnières, avec «eau, gaz et gens mariés à tous les étages». Et le moins qu'on puisse dire est que l'humanité dépeinte par Feydeau n'est guère reluisante. Il y a Gontran (Mychael Parys), lycéen qui passe plus de temps auprès de sa «cocotte» que sur les bancs de son «four-à-bac», l'inénarrable Mme Latour, comtesse déchue dans la conciergerie (Angélique Leleux, en très grande forme, elle aussi), le provençal Cassagne (Bernard Lefrancq), cocu en mal de constat d'adultère pour pouvoir divorcer, le commissaire Bridois (Ronald Beurms) en qui l'homme du monde et le magistrat cohabitent de manière schizophrène.

Les comédiens semblent éprouver un plaisir communicatif à la pratique de cet «art d'être bête avec des couplets» que fut le vaudeville au temps de sa splendeur. Devant ces marionnettes qu'agitent frénétiquement leurs désirs et leurs peurs, on rit d'abondance - même si certains ajouts «maison» au texte viennent parfois en surligner un peu lourdement les intentions. A croire que l'humaine nature n'a pas tant changé que cela…

La ibre Belgique - 28/7/2005 - Philip Tirard

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