Michel de Warzée et Jean-Claude Frison

L’auteur Florian Zeller, lauréat du Prix Interallié et du Prix du Jeune Théâtre de l’Académie Française, éblouit avec cette pièce qui mêle humour et désespoir.
Un puzzle illusoire qui parle de la vie en apesanteur telle une mélodie tendre et délicate où vous retrouverez le trio de "Sentiments provisoires" : Michel de Warzée, Jean-Claude Frison et Stéphanie Moriau auxquels se joint la magnifique Caroline Lambert.


A la recherche vertigineuse de l’Autre… « Je m’imaginais ce que je pourrais découvrir si tu mourais! » Ah femme curieuse, ne te suffis-tu pas de l’amour, te faut-il éternellement la connaissance?

C’est la nouvelle saison chez Claude Volter. Leur premier spectacle, une pièce de Florian Zeller met en scène les trois comédiens chevronnés qui jouaient l’an dernier « Sentiments provisoires » : le mari, la femme et l'amant, sujet très exploité au théâtre mais dont la composition en éclats, les monologues intérieurs et la superposition des vérités avaient déjà fasciné les spectateurs par leur profondeur derrière l’apparente comédie de mœurs. Un spectacle qui déjà essayait de nous dire quelque chose de très profond, au-delà de la réalité visuelle. Hasard ? ou suite logique d’un questionnement de l’Autre? Ainsi, ce nouveau demi-vaudeville plonge dans les doutes, les craintes, les phantasmes et la difficulté de percevoir la vérité. Le trio Stéphane Moriau, Jean-Claude Frison, Michel de Warzée, on l’a vu, excelle dans l’art de faire apparaître des émotions vives ou sombres dans les interstices du visible. Ils chevauchent aussi bien le comique que le tragique.

Dans « Si tu mourais… » Florian Zeller brouille les repères, emmêle les différentes couches de réalité ou d'imaginaire, le moment présent et les flash-backs. Apparemment, on se trouve dans un appartement, …ou un autre, dans un temps, … ou un autre, devant des faits avérés… ou des craintes imaginaires. Réalité et mensonges se superposent. Façon modules Ikea, décor de Noémie Breeus. On voit une veuve, pas trop éplorée, quoique… Un ami Daniel très mystérieux ou amoureux ? « Vraiment, crois-moi ! » Il la ménage ou il est sincère ? Un mari mort d’un accident de voiture mais omniprésent… A la fois mari et amant d’une autre, …ou non. Laura Dame, la sémillante jouvencelle en shorts et bretelles, est-elle une des jeunes maîtresse dudit mari ? Ou la femme de l’agence immobilière ? Anne, la veuve, vient d’ouvrir une boîte de Pandore. Elle vient de découvrir des notes - un testament empoisonné - dans les affaires de Pierre, son mari écrivain, qui laissent à penser qu’il menait une double vie… Et tout porte à le croire, surtout que c’est ce que Anne a peut-être envie de croire. Pour diminuer sa peine ? Pour confirmer des soupçons inspirés par une jalousie latente ? Mais voilà l’engrenage bien réel d’une chimère - la peur de l’abandon - et le besoin de savoir qui la ravage. Jamais plus elle ne pourra parler à Pierre et savoir, il a définitivement emporté son secret avec lui. Paranoïaque ou avisée, Anne se drape d’un imperméable de détective et débarque chez la soi-disant maîtresse, elle veut la confirmation de sa vérité. Dérangée, Laura Dame avoue : rien ou tout. Par jeu ? Ou par dépit amoureux ? Une merveilleuse Caroline Lambert d’une fraîcheur acidulée !

Plus l’enquête se fait pressante, plus le mystère s’épaissit. On retrouve la même atmosphère riche de questionnements humains, un temps et un espace explosés comme dans « Sentiments provisoires » comme pour mieux cerner le désir de l’auteur de la pièce. « Mon désir, était de raconter l’histoire d’une femme qui se perd, qui cherche une vérité qu’elle fuit en même temps et qui, à la mort de son mari, se pose cette question : Peut-on réellement connaître l’autre, ou son visage demeure-t-il toujours, tout en étant familier, un masque, une chimère, une construction ? »

Anne cherche Pierre partout dans ses souvenirs… il ne cesse de lui échapper. Elle doit faire son deuil, mais cela veut dire quoi ? Apprendre à vivre sans lui ? Mais qu’est-ce qui est plus facile ? En continuant à l’aimer avec son vrai visage ou en froissant son souvenir devant le masque de sa trahison ? « Tu ferais quoi à ma place?» «Si tu mourais? Qu’est-ce qu’il me resterait?» Des questions poignantes. Il ne peut plus répondre, même par ses pirouettes de mâle assoiffé d’aventures. La mort est la seule certitude. L’énigme de la vérité, « ce sont des mains et des yeux qui brûlent en silence », une phrase incandescente.

L’écriture de Florian Zeller? Une écriture «vive et musicale, un genre qu'adorait le XVIIIe, où le mot et le sentiment se livraient à de délicieux et douloureux cache-cache dont la vérité et le mensonge étaient les enjeux favoris». La mise en scène ? Celle de Vincent Dujardin : adroite, malicieuse comme un jeu de colin-maillard, qui ménage des coups de théâtre et s’amuse du jeu de pistes qu’il offre au spectateur et lui fait traverser le miroir des rêves. La musique ? Le seul bémol. Elle est envahissante, lancinante et aussi pâteuse que celle d’un orchestre fatigué au bal du rat mort à trois heures du mat. Peut-être l’effet voulu ! Qui sait ? Il y a toujours au moins deux réponses à la même question, c’est Michael Crichton, dont l’inquiétude était sans bornes, qui le disait n’est-ce pas?

Dominique-Hélène Lemaire - Arts et Lettres

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