"Un des spectacles incontournables de l’année."
(Christian Jade - RTBF)

Il y a ce que l’on voit, ce que l’on veut bien voir et ce que, saturé d’images, on ne voit plus.

Délégué du Comité International de la Croix-Rouge, Maurice Rossel s’était rendu , en juin 1944, dans la ville-ghetto de Terezin et avait conclu sa visite par un rapport utile aux nazis. Frappé par son aveuglement, Juan Mayorga éprouva le désir de porter à la scène cette expérience. "L’expérience d’un homme qui, voulant aider la victime, finit par coopérer avec le bourreau." Tournant autour du sinistre maquillage d’un camp de concentration en cité paisible, "Himmelweg" est une pièce exigeante qui nous émeut et nous fait réfléchir. A la difficulté de voir la vérité, à la manipulation des faibles et aux relations ambiguës entre le théâtre et la vie.


N’y allons pas par quatre chemins : Himmelweg intrigue, fascine, dérange et, longtemps après, vous agrippe les méninges comme une sangsue.

Son point de départ ? Le camp tristement célèbre de Terezin et l'ignoble entreprise de mystification mise en point par les nazis. Plus précisément encore, l'auteur espagnol Juan Mayorga s'est inspiré de Maurice Rossel, Suisse envoyé à Berlin pendant la Seconde Guerre mondiale comme délégué de la Croix-Rouge pour inspecter les camps de prisonniers de guerre. Il visita Auschwitz mais aussi le "ghetto modèle" de Terezin en juin 1944 et fit un rapport approbateur. Comment les nazis ont-ils pu faire croire qu'un camp de concentration de Tchécoslovaquie était une cité heureuse ? Comment ce délégué de la Croix-Rouge ne s'est-il pas suicidé en découvrant la supercherie dont il avait été l'involontaire complice ? Ce sont ces questions qui ont nourri Juan Mayorga.

"Himmelweg" ("chemin du ciel" en allemand, du nom que l'on donnait aux rampes menant des trains aux fours crématoires) met en scène trois personnages. Le délégué de la Croix-Rouge (Jean-Marc Delhausse), qui retourne dans sa tête la visite de la ville ghetto déguisée en colonie de repeuplement juif, sa place paisible, ses enfants jouant à la toupie, son maire au sourire impassible qui parle de l'histoire d'une horloge centenaire. Il attendait un appel au secours mais ne repartit qu'avec une vague impression de raideur dans les gestes de ces gens.

Avec l'arrivée du commandant (formidable et glaçant Michelangelo Marchese), c'est l'incroyable mensonge, mis en scène telle une pièce de théâtre pour démentir les soupçons sur les pratiques exterminatrices des nazis, qui se dévoile. Dans son bureau, le commandant se prend pour un dramaturge, citant Aristote ou Spinoza, et convoque Gottfried (Luc Van Grunderbeeck), représentant juif du camp, pour composer avec lui sa farce macabre. On assiste alors aux coulisses des répétitions du camp idyllique, destiné à être joué par les pensionnaires eux-mêmes.

On oscille entre le comique ridicule des prétentions théâtrales chez le nazi et les dilemmes insoutenables du Juif, obligé, pour sauver une partie de sa communauté, d'entrer dans ce jeu pervers. Son application résignée, alors qu'au dehors sifflent les trains de la mort, est déchirante. "Si on joue bien, on reverra Maman dans un de ces trains", dit-il à une petite fille, nous broyant définitivement le coeur.

La mise en scène de Jasmina Douieb décortique habilement le texte de Mayorga, accentuant la mise en abyme par le biais de vidéos, à l'ambiance mystérieuse, laissant deviner les scènes du sinistre scénario.

Le Soir - Catherine Makereel - 14 novembre 2011

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