Face-à-face amoureux entre deux ex-amants,
l'espace d'une nuit: bouleversant et drôle

Mais pourquoi deux personnes qui s'aiment autant en arrivent à ne plus se comprendre? Quelle blessure irréparable se sont-ils fait l'un à l'autre ?

"Skylight" est un grand spectacle, tendre et drôle, qui pose des questions simples: pourquoi deux personnes qui s'aiment autant en arrivent à ne plus se comprendre?

«Monumental face-à-face amoureux, d’une fluidité rare pour le théâtre, la pièce se regarde comme un film. Coup de cœur.» Mosquito


S’aimer, se quitter, s’engager : les questions de “Skylight”, au Public.

Lumière sur un appartement ordinaire, son canapé aux coussins fatigués, ses chaises dépareillées, l’horloge de la cuisinière jamais réglée qui clignote en vert, les étagères banales couvertes d’ustensiles, de livres - qui en piles instables s’amoncellent aussi au sol -. les câbles électriques encombrants, l’évier encombré.

C’est la fin de la journée, une jeune femme rentre, chargée de sacs, couverte de bonnet, écharpe, manteau, mitaines, de quoi lutter contre le froid - dehors, mais aussi dedans. Kyra, on le découvre bientôt, enseigne dans des classes pas faciles de l’East London. Une vie qu’elle a choisie, une vie nouvelle après les années passées auprès d’une famille dont deux représentants vont lui rendre visite consécutivement, ce soir-là. Le fils d’abord, Edward, 18 ans, plutôt remonté contre son paternel dont il a d’ailleurs quitté le domicile. Le père ensuite, Tom. Chacun ramène à la surface une brassée de souvenirs, avec pour donnée supplémentaire que la mère, entre-temps, a succombé à un cancer.

Une nuit d’hiver, la parole se libère

Né en 1947, le dramaturge britannique David Hare (connu aussi pour ses scénarios de cinéma, dont "The Hours" ou "The Reader") reçoit pour "Skylight", en 1996, le Laurence Olivier Award for Best New Play. Traduite par Dominique Hollier - que son parcours de comédienne dote d’un joli sens du rythme -, la pièce est mise en scène, pour cette production du Public, par Michelangelo Marchese. L’auteur, dit-il, "nous propose d’explorer le fossé entre ce que les personnages prétendent être et ce que nous percevons d’eux; la différence entre ce qu’un homme ou une femme dit et comment il ou elle agit".

C’est dans cet esprit qu’il guide les trois comédiens. Toussaint Colombani en Edward dont la gaucherie ne masque ni la rancœur rebelle ni la générosité. Erika Sainte campe, de Kyra, la ferveur et le doute, la carapace qu’elle s’est construite et les failles qu’elle a apprivoisées. Michel Kacenelenbogen, très crédible en businessman colérique et susceptible, humanise son Tom oscillant entre assurance et maladresse.

"On oublie qu’on est au théâtre", dit un spectateur à un autre, à l’entracte. L’option naturaliste n’y est pas étrangère (Céline Rappez signe scénographie et costumes, Laurent Kaye de précises lumières), tandis que s’étoffe la psychologie des personnages à mesure que resurgit, en cette nuit de parole libérée, le passé. Loin d’être novatrice, plutôt rassurante même, la forme sert un propos qui, lui, n’esquive pas l’inconfort. Et si la pièce a plus de quinze ans, elle n’en soulève pas moins, habilement livrée ici, moult questions sur l’engagement personnel, professionnel, politique, les concessions, le pardon, l’intransigeance, le rapport des générations, les choix, les renoncements, la culpabilité, le pouvoir de l’amour, les impasses de l’humour, l’incertitude économique, sociale, affective. Le terrain semblait lisse, il se révèle accidenté.

La Libre Belgique - Marie Baudet - 23/11/2012

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