Une tempête de sentiments

Comme à son habitude, Reza puise dans notre quotidien banal des situations normales qu'elle exagère au maximum pour les rendre absurdes. Qu'il s'agisse de l'éducation, du jugement permanent de l'autre ou de l'irrespect, elle fait le portrait au vitriol d'une société qui évolue dans un manque qu'elle peine à combler, mais qu'elle tente de noyer dans des futilités, des téléphones et des cigares, des questions dont les réponses n'ont aucune importance.
Les mots s'accumulent mais les phrases n'ont aucun sens, le discours est inexistant: quand on parle, à quelle fin le fait-on?


Yasmina Reza, auteure française, a écrit une pièce de théâtre véritablement jubilatoire (qu’elle a d’ailleurs mis en scène elle-même, fin de saison dernière, à Paris, avec Isabelle Huppert en vedette). Elle y place sous la loupe deux couples bien sous tous rapports et va faire apparaître leurs fêlures dans une folie comportementale et une déraison verbale. Michel Kacenelenbogen signe à Bruxelles une mise en scène discrètement efficace qui laisse la part belle à l’humour féroce de Yasmina Reza.

Les Houillé (Valérie Lemaître et Olivier Massart) et les Reille (Véronique Biefnot et Damien Gillard,) se rencontrent, car leurs enfants se sont battus et la séquelle est deux dents cassées pour le petit Houillé. Dans une ambiance où une mouche téméraire n’oserait risquer une pointe d’aile suicidaire, ces BCBG font des assauts de politesse que ne désavoueraient pas les derniers médaillés d’Or de fleuret moucheté. Dans ce florilège de pensées stéréotypées (toujours très comparables à celles de nos voisins) et derrière ces paroles d’une mauvaise foi crasse, c’est un peu un nous que l’on retrouve dans ces bobos (bourgeois-bohèmes) en apparence. Car quand le vernis craque, que la colère prend le pas sur la civilité et que la bienséance de rigueur, chacun même le plus policé se montre finalement très primaire.

L’avocat d’affaires à l’international apparaît comme un machiste dont le modèle pourrait être John Wayne, le PDG en quincaillerie n’a en définitive que l’étoffe d’un simple représentant de commerce, la conseillère en gestion de patrimoine se révèle être une femme frustrée et étouffée par mari et l’écrivaine tiers-mondiste se sert de son intérêt pour l’Afrique comme d’une confortable carapace protectrice. Leurs univers réglés comme du papier à musique se déchirent à l’instar de l’immense peinture qui orne le fond de l’appartement et qui représente une réelle béance. Les savantes théories pédagogiques s’effondrent et laissent place à une surprotection digne de Maman Poule. Le constat d’accident à l’amiable se transforme un pugilat. Les sentiments refoulés reviennent au grand galop, les non-dits deviennent aussi bruyants qu’une fanfare de quartier. Haines, rages, désespoirs, cris, vomissements (nerveux), coups, engueulades sont le véritable charme de ce Dieu du Carnage. Dans cette montée en puissance (parfois un tantinet exagérée) du volet le plus ignoble de l’homme c’est notre humanité que l’on retrouve et qui nous fait rire joyeusement et sans complexe de nos propres (dés)illusions et de notre pseudo bonne conscience.
Jubilatoire !!!

Muriel Hublet - Plaisdir d'Offrir - 19/11/2008

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