Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Début juin 1886, devant la détermination de Louis II à se défaire du gouvernement, Lutz presse le professeur Gudden de remettre un rapport psychiatrique qui n'existe toujours pas et le 8 juin, l'aliéniste et ses collègues annoncent le verdict: le roi serait atteint de paranoïa aiguë devant être considérée comme incurable, maladie entraînant une incapacité d'exercice du libre arbitre et donc du pouvoir pour une période d'au moins un an. Cette dernière mention du diagnostic est loin d'être due au hasard, car la constitution bavaroise prévoit que si le monarque se trouvait dans l'incapacité de régner pour au moins cette période, la régence serait automatiquement proclamée. Par ce rapport médical, Louis est écarté du pouvoir, son oncle devient régent et les ministres conservent leur poste. Reste à signifier cette décision au roi et à se saisir de lui.

Au soir du 9 juin, alors que Louis est à Neuschwanstein, les membres de la commission devant l'arrêter, Holnstein en tête, se restaurent à Hohenschwangau, attendant l'aube pour agir. Le lieu d'internement choisi est le château de Berg qui a déjà été transformé en conséquence et qui a l'avantage d'être hors de Munich sans être, comme Linderhof, trop proche de la frontière autrichienne par laquelle on redoute une évasion.

Vers une heure du matin le 10 juin, le cocher Osterholzer recevant un ordre de Holnstein rétorque à ce dernier qu'il ne saurait obéir qu'au roi. À cet instant, le comte se trahit et clame que Louis II n'a plus rien à exiger et que seules comptent les volontés du régent Luitpold. Comprenant ce qui se trame, Osterholzer s'enfuit et gravit la colline de Neuschwanstein où, hors d'haleine, il dévoile le complot au roi. Tandis que toutes les portes du château sont fermées, Louis demande que l'on ameute la population pour qu'elle vienne à sa rescousse.

La commission qui se sait découverte se met immédiatement en route pour, sous une pluie battante, parvenir au pavillon d'entrée de Neuschwanstein où les factionnaires interdisent tout accès au château. Et dès que certains ministres tentent malgré tout d'avancer, les soldats prêts à tirer pointent leurs armes vers les membres de la commission obligés de refluer piteusement vers le village en contrebas.

Peu après, les premiers renforts de police arrivent de Füssen afin d'aider le roi qui signe le mandat d'arrêt des félons qui sont tous interpellés vers sept heures avant d'être sous les huées de la foule conduits à Neuschwanstein où ils sont enfermés dans diverses pièces avec la stricte interdiction de sortir, de communiquer ou d'être nourris.

Au même moment, à Munich, le prince Luitpold publie la proclamation de la régence, les autorités et administrations bavaroises étant requises de se conformer aux nouvelles directives. Vers quinze heures, le comte Dürckheim, aide de camp d'Othon puis de Louis et fidèle parmi les fidèles, apporte au roi un exemplaire de la proclamation du régent, ce qui pousse Louis II à rédiger une contre-proclamation antidatée d'un jour qui appelle à la résistance face à l'attitude du prince Luitpold et des ministres, mais interceptée par l'administration, la missive n'est pas relayée. Simultanément, Dürckheim insiste auprès du roi afin qu'il regagne Munich au plus tôt pour faire échec au coup d'État, mais épuisé et étonnamment amorphe, Louis ne réagit pas. Saisissant toujours mieux le péril qui guette le monarque, le comte le supplie alors de franchir la proche frontière autrichienne afin d'obtenir la protection des Habsbourg. Une fois encore, rien n'y fait et le roi part se reposer quelques heures. En désespoir de cause, Dürckheim depuis le Tyrol télégraphie à Bismarck qui répond immédiatement que la seule issue pour Louis est de revenir à Munich pour se montrer au peuple et défendre ses droits devant le parlement.

Or, durant cette décisive nuit du 10 au 11 juin durant laquelle tout reste possible, la nouvelle de la déchéance du roi se propage et des troupes ralliées au nouveau pouvoir prennent position autour du château. Au matin, quand le roi reposé consent à partir pour la capitale afin de renverser la situation, c'est la situation qui le renverse. Louis fait alors libérer les membres de la commission qui, dans la soirée, lui signifient la sentence arrêtée à son encontre.

Le 12 au petit matin, le convoi devant rejoindre le lieu de détention se met en branle et atteint Berg vers midi. Louis découvre ses appartements et son nouveau mode de vie : portes sans poignée équipées de judas, fenêtres aux volets fermés devant être renforcées par des barreaux, repas pris exclusivement avec des couverts à dessert. Berg a été transformé en asile psychiatrique. Quant à la population locale, interdiction lui est faite de sortir la nuit ou de tenter d'approcher du château.

Depuis Bad Ischl en Autriche, l'impératrice Élisabeth qui vient d'apprendre le drame qui se joue gagne un lieu proche de celui où est détenu son cousin et tente de prendre contact avec le comte Dürckheim afin d'élaborer un plan d'évasion. Peine perdue, car l'aide de camp a déjà été arrêté et transféré à Munich. La Mouette ne renonce cependant pas à voler au secours de l'Aigle.

Dès le début, Louis paraît très calme et bien éloigné des descriptions qui en ont été dressées et sur base desquelles le professeur Gudden avait établi son rapport. Aussi, quand le lendemain, 13 juin 1886, le roi demande à se promener dans le parc, la faveur lui est accordée. Bien encadrée par des infirmiers, la sortie se déroule sans encombre, de sorte que quand Louis émet le souhait de renouveler cette promenade en soirée, Gudden qui commence peut-être lui-même à douter de la véracité des éléments sur lesquels il a fondé son diagnostic accepte l'idée et estime que toute escorte sera superflue.

Vers six heures de relevée, les deux hommes se mettent en route et longent la rive du lac de Starnberg sur lequel donne le parc du château. Deux heures plus tard, alors qu'éclate un violent orage, les membres de la commission encore présents à Berg s'inquiètent du retard du roi et de son médecin et lancent les recherches, infirmiers et gendarmes brandissant des torches pour percer les ténèbres qui se sont rapidement abattues. vingt-deux heures trente, un corps est aperçu, flottant à la surface de l'onde néfaste.



L'Aigle a définiti-vement replié ses ailes et Louis II de Bavière vient de quitter l'histoire de son temps pour devenir légende.

Retour à la page précédente