Irrésistible Nuit des Rois:
du rythme, des chants, du rire
le théâtre élisabéthain en Commedia.

La preuve du pudding, disent les Anglais, c'est de le manger. Et cette Nuit des Rois à l'italienne est des plus gouleyantes. C'est un vrai feu d'artifice d'effets et de surprises, sans que l'on tombe jamais dans la vulgarité ou le tapage gratuit.
(Philip Tirard - La Libre Belgique)


Egalement passionné par le travail que l’Altane Théâtre effectue avec la Commedia dell’Arte depuis qu’il a vu la « Mascarade Fantastique », Paul EMOND aime travailler sous forme de work in progress avec les comédiens lorsque cela lui est permis. Or la Commedia exige ce type de travail. En effet, lors de la construction du spectacle, nous fixons les choses essentielles mais le reste est en perpétuelle évolution.

Ce n’est pas seulement la xème adaptation de La Nuit des rois mais c’est un travail plus particulier que j’ai mis en chantier avec l’Altane Théâtre. Dans mon parcours d’auteur et d’adaptateur (si je compte bien, il s’agit ici de ma treizième adaptation!), ce travail représente quelque chose de nouveau et donc, pour moi, de particulièrement intéressant et stimulant: déporter la célèbre comédie de Shakespeare vers la Commedia dell’Arte, tout en s’efforçant d’en garder un maximum de traits spécifiques.

La "fidélité littérale" impossible
Impossible, dès lors, de s’appliquer ici à une «fidélité littérale ». Le type de théâtre et de jeu auxquels ce texte est destiné appelle ce qu’il est convenu d’appeler une « adaptation forte », qui tienne compte de tout ce qu’exige un théâtre de tréteaux : un spectacle tournant autour des 90 minutes, ce qui est sensiblement plus court que ce que donnerait une représentation habituelle de La Nuit des rois dans son intégralité ; un fonctionnement de la pièce permettant de la ramener à ses onze principaux personnages - ce qui suppose également que quatre des sept comédiens puissent jouer chacun deux rôles et donc passer sans encombre de l’un à l’autre à l’autre ; des personnages dont le « type » soit quelque peu accentué pour se rapprocher davantage du personnage de la Commedia qui lui correspond ; un texte au rythme fort et dynamique, qui privilégie les phrases courtes et les images précises, et qui permette une actualisation de certaines répliques sous forme d’allusions et de lazzi. Bref, une forme de réécriture aux impératifs très définis. Je ne peux que m’en réjouir, l’expérience m’ayant appris que, dans ce genre de travail, plus la commande est précise et directement liée à une pratique théâtrale fortement cadrée, plus l’apport du texte valorise le spectacle. En d’autres termes encore, ce qu’il s’agira de mettre d’abord en évidence, c’est le merveilleux canevas de la comédie de Shakespeare, ses rebondissements incessants, ses joyeux jeux de doubles et de dupes, ses masques et ses révélations, ses histoires d’amour et ses intrigues, la bêtise, la drôlerie ou la générosité de ses personnages. On ne s’étonnera d’ailleurs pas qu’en son titre même, La nuit des rois ou, pour traduire littéralement le titre anglais, La douzième nuit, plus qu’à la fête religieuse de l’Epiphanie, fasse référence aux très anciennes célébrations carnavalesques dont cette fête s’est voulue, tantôt le substitut, tantôt le complément religieux. Jusque dans les chansons joyeusement distillées par Feste, le bouffon, ne cesse ainsi de transparaître le cousinage de la pièce avec le monde de la Commedia - lui-même immédiatement carnavalesque - et l’on ne s’étonnera pas trop de découvrir que, selon les spécialistes, c’est une comédie intitulée Il Ignannati (Les Mystifiés), créée à Sienne en 1531, qui, à travers plusieurs intermédiaires et réécritures, a fourni à La Nuit des Rois sa base d’inspiration principale. Comme quoi, sans jamais se départir de toute la révérence due au grand Will, le présent travail aura peut-être également quelque chose à voir avec une sorte de « retour à l’expéditeur »… Avec Sandrine VERSELE et David PION, qui sont la cheville ouvrière de l’Altane Théâtre, et Patrick DESCAMPS, le metteur en scène, nous avons assez facilement déterminé la couleur principale de chacun des protagonistes et donc le personnage de la Commedia dell’arte dont il peut être rapproché. Voici, à titre indicatif, les associations ainsi effectuées :

Viola : une jeune première.
Sébastien : un jeune premier.
Olivia : une première actrice.
Maria : une servante.
Toby : Pantalone.
L’officier du duc : un officier. André : Scaramouche.
Le duc Orsino : un premier acteur.
Malvolio : Brighella.
Antonio : un premier acteur.
Feste : Arlequin.

Il est clair aussi qu’un juste milieu sera à trouver - et c’est là, bien entendu, ce qui constitue à la fois le risque et le plaisir de l’entreprise - entre cette caractérisation et la personnalité riche et complexe dont ces personnages sont dotés dans la pièce de Shakespeare. Il s’agira donc, tant dans l’écriture que dans l’interprétation, d’amplifier le trait sans qu’il devienne réducteur. Mais l’enjeu en vaut la peine : on a souvent reproché à la Commedia de se limiter à des canevas sur lesquels le texte dit par les acteurs était hâtivement brodé et, dès lors, de stéréotyper aussi bien l’histoire que ses protagonistes ; dans le cas présent, c’est nécessairement un texte plus dense et plus précis que les acteurs auront à défendre. D’où, d’ailleurs, l’utilisation qui est prévue d’éléments de masques plutôt que de masques complets, comme cela est expliqué, je crois, ailleurs dans le présent dossier. Nous avons également convenu, vu le caractère tout particulier d’un spectacle de tréteaux, que mon rôle d’écrivain-adaptateur se ferait en trois étapes, autre particularité du travail qui m’intéresse tout particulièrement. Première étape : proposer un texte de base, aussi simple et efficace que possible, qui s’efforce d’enregistrer l’essentiel de la pièce et qui se limite volontairement à ce premier objectif, sans encore prendre en compte véritablement le rapprochement des personnages avec ceux de la Commedia, ainsi que la forme d’humour et de dialogue appartenant à celle-ci. Nous avons prévu que ce texte sera parfaitement au point au mois de mai 2002, au moment où commenceront les répétitions. Seconde étape : travailler plus spécifiquement les chansons de Feste qui occupent dans la pièce une place tout à fait spécifique et les adapter au type de chanson propre à la Commedia ; voir aussi s’il n’est pas nécessaire d’en composer d’autres, destinées à être chantées par plusieurs acteurs en même temps. Ce travail se fera en collaboration directe avec le musicien Gaston HENUZET. Troisième étape : au cours des répétitions auxquelles j’assisterai largement, prendre en compte les improvisations, jeux de mots, lazzi et autres actualisations qu’apporteront nécessairement les acteurs rôdés au spectacle de tréteaux et retravailler ainsi le texte avec eux pour caractériser les personnages avec exactitude et fixer définitivement la formulation de chaque réplique. Cette étape sera particulièrement importante, car c’est surtout à ce moment qu’il faudra ajuster avec précision l’univers de la comédie shakespearienne et celui de la Commedia dell’arte. Cette collaboration avec l’Altane Théâtre me passionne d’autant plus que je trouve sans cesse davantage de plaisir, dans mes propres pièces, à écrire d’abord pour les acteurs, à leur tailler des rôles, voire même à écrire directement et de façon spécifique pour tel ou telle. L’adaptation de La Nuit des rois vient donc à point dans mon parcours. Il me reste à espérer que cette collaboration sera également profitable à une compagnie qui a entrepris, avec le succès que l’on sait, de remettre à l’honneur une pratique théâtrale dont la richesse et la force de séduction semblent avoir traversé les âges sans prendre une seule ride.


Paul Emond

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