Triomphe en Avignon cet été
«Le soir à la nuit close quand le genre humain repose, je travaille à mon Palais. De mes peines nul ne saura jamais.»

Né au siècle dernier Ferdinand Cheval, surnommé « Le facteur Cheval » a passé plus de trente ans de sa vie à construire une sorte de palais extraordinaire, tout seul, avec ses petites mains, ses outils et sa brouette. La plupart des gens le qualifient encore de fou aujourd’hui. Mais c’était un fou génial ! Oscar Wilde a écrit que : « Les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais ».
Chacun sur cette terre a sa part de bonheur et de malheur. Certains trinquent plus que d’autres. Et le facteur Cheval ne sera pas épargné par les ronces de la vie. Il va perdre son jeune fils, puis Alice sa fille chérie s’en ira au pays d’à l’envers. Elle avait à peine quinze ans. Comment survivre à la mort de ses enfants ? C’est bien la pire des douleurs. Son épouse suivra un peu plus tard. Ferdinand Cheval, fou de chagrin, aura pourtant la force de construire un palais inouï, né d’un songe. C’est sans doute ça qui lui a maintenu la tête hors de l’eau. La passion, quelle qu’elle soit, nous sauve de tout.


Origines
Joseph Ferdinand Cheval naît dans une famille de petits cultivateurs, installée à Charmes-sur-l'Herbasse, un modeste village de la Drôme des collines, une microrégion terrienne et rurale, située au nord de Romans-sur-Isère. Il est le fils de Jean-François Cheval et de sa deuxième épouse Rose-Françoise Sibert; sa mère meurt le 21 avril 1847. Il a un frère, prénommé François Victor.

Vie privée et familiale
Le 20 mai 1858, il se marie avec Rosalie Revol (1841-1873), lingère, avec qui il aura deux enfants, Victorin (1864-1865), et Cyril (1866-1912). Il sera le grand-père d'Eugénie et d'Alice (Marie-Louise) Cheval. Après la mort de son épouse en 1873, il se remarie le 28 septembre 1878 avec Claire-Philomène Richaud (1838-1914), tailleuse et également veuve. Elle apporte en dot l'équivalent de deux années de traitement de facteur et une petite propriété qui lui permet d'acquérir un lopin de terre à Hauterives. De leur union naît son unique fille, Alice, née en 1879 et morte en 1894, à l’âge de 15 ans.

Formation et carrière professionnelle
Du fait d'une scolarité courte — de 1842 à 1848, à l'école communale de Charmes —, il maîtriserait mal la langue française, qu'il écrit phonétiquement. Après l'obtention de son certificat d'études primaires, il devient à l'âge de treize ans apprenti boulanger. Il est pris en tutelle, à l'âge de dix-huit ans, à la mort de son père, par son oncle maternel Joseph Burel, qui le fait rapidement émanciper (la majorité à cette époque étant fixée à 21 ans). Il laisse à son frère la ferme familiale pour devenir en 1856 boulanger à Valence puis à Chasselay, une commune située au nord de Lyon en 1859.

La mort de son premier fils en 1865 le fait abandonner la boulangerie, activité qu'il a pratiquée durant presque une douzaine d'années et dont l'expérience du pétrissage aurait influencé son savoir-faire de sculpteur et de créateur. Il s'engage comme ouvrier agricole, métier qu'il abandonne à la naissance de son second fils.

Acculé à la misère, il se présente au concours de facteur et entre officiellement dans l'administration des Postes le 12 juillet 1867. Il est successivement facteur à Anneyron, puis à Peyrins, puis à Bourg-de-Péage. À sa demande, en 1869, il est affecté à Hauterives, à une douzaine de kilomètres de son village natal, ayant en charge la « tournée de Tersanne », une longue tournée pédestre quotidienne. Il y restera jusqu'à la retraite.

Ses longues tournées en solitaire de plus de trente kilomètres n'ont pas le même rythme que les tournées cyclistes ou motorisées d'un « préposé » rural du XXIe siècle: «Le courrier n'arrive à Hauterives qu'à 11 heures du matin. Le facteur qui nous dessert est obligé avant de partir de desservir le village d'Hauterives et ensuite de desservir les quartiers de cette commune qui se trouvent sur son parcours. Malgré sa bonne volonté il ne peut arriver à notre village qu'à une heure souvent deux de l'après-midi. Pour aller de la boîte aux quartiers des Débris et des Nivons, ce qui lui arrive souvent, il a encore une distance de 5 à 6 kilomètres. Il a ensuite à desservir la section de Treigneux et la partie de la commune d'Hauterives depuis Treigneux jusqu'à la route départementale no 6, et ce n'est qu'après ce trajet qu'il se rend au bureau, mais presque toujours après le départ du courrier qui se fait vers 5 heures, si bien que Tersanne éprouve chaque jour des retards sous le rapport des départs des dépêches.»

Il occupe ses heures de randonnée à de longues rêveries au cours desquelles il imagine un « palais féerique », rêveries qui ne commenceront à être concrétisées qu'une dizaine d'années plus tard[12], après maints voyages avec sa brouette qu'il appelle sa «fidèle compagne de peine». En 1896, il prend sa retraite.

Son «Palais Idéal»
Début de la construction
En avril 1879, une pierre, qu'il dénommera sa «pierre d’achoppement», entraîne sa chute sur le chemin de sa tournée et le fait transposer son rêve dans la réalité. Il rapporte dans ses cahiers l'importance de cet événement: «Un jour du mois d'avril en 1879, en faisant ma tournée de facteur rural, à un quart de lieue avant d'arriver à Tersanne, je marchais très vite lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m'envoya rouler quelques mètres plus loin, je voulus en connaitre la cause. J'avais bâti dans un rêve un palais, un château ou des grottes, je ne peux pas bien vous l'exprimer… Je ne le disais à personne par crainte d'être tourné en ridicule et je me trouvais ridicule moi-même. Voilà qu'au bout de quinze ans, au moment où j'avais à peu près oublié mon rêve, que je n'y pensais le moins du monde, c'est mon pied qui me le fait rappeler. Mon pied avait accroché une pierre qui faillit me faire tomber. J'ai voulu savoir ce que c'était… C'était une pierre de forme si bizarre que je l'ai mise dans ma poche pour l'admirer à mon aise. Le lendemain, je suis repassé au même endroit. J'en ai encore trouvé de plus belles, je les ai rassemblées sur place et j'en suis resté ravi… C'est une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps. Elle devient aussi dure que les cailloux. Elle représente une sculpture aussi bizarre qu'il est impossible à l'homme de l'imiter, elle représente toute espèce d'animaux, toute espèce de caricatures. Je me suis dit : puisque la Nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l'architecture.»»

Pour son voisinage, le Facteur Cheval devient alors un être étrange, un « pauvre fou » qui durant sa tournée met des pierres en tas, revient le soir les chercher en s'aidant de sa brouette, pour en remplir son jardin. Il commence la construction de son monument qu'il n'appelle pas encore Palais idéal en 1879.

En 1894, le décès de sa fille Alice, à l'âge de 15 ans, l'affecte profondément. Il avait commencé à collecter les pierres de son palais l'année de sa naissance, mais sa fille ne connaîtra jamais son achèvement. Il habite ensuite une villa dénommée villa Alicius, en hommage à sa fille, qu'il fait construire à proximité du Palais idéal pour le valoriser. Cheval achève la construction de son palais en 1912. Ne pouvant être inhumé dans ce palais selon son souhait, il construit de 1914 à 1922 son tombeau au cimetière municipal. Il meurt le 19 août 1924.

Œuvre d'un tiers de siècle
Classé au titre des monuments historiques le 2 septembre 1969 grâce à l'appui de l'ancien ministre André Malraux, ce monument, qui a rendu célèbre Ferdinand Cheval, a été construit petit à petit durant 33 ans entre avril 1879 et le courant de l'année 1912. Ce monument, entièrement édifié par cet homme, mesure 12 mètres de hauteur et 26 mètres de long, les différentes pièces (des pierres ramassées sur les chemins pour la plupart) ont été assemblées avec de la chaux, du mortier, du ciment et des armatures métalliques (ce qui est précurseur en matière de technique de « béton armé »).
Les archives de l'INA attestent des dons de Ferdinand Cheval, indiquant: «Architecte, sculpteur ou dessinateur, il inventera pour mener son projet à bien, certaines techniques comme le béton armé par exemple
Selon Le Dauphiné libéré, le palais reçoit la visite de quelque 150 000 visiteurs en 2013.

Tombeau du silence et du repos sans fin
Après l'achèvement du Palais idéal, il manifeste son désir d'être plus tard enseveli dans l'enceinte même de son œuvre, ce que la réglementation française ne permet pas lorsque le corps n'est pas incinéré. Ferdinand Cheval se résout à se faire inhumer, le moment venu, dans le cimetière communal, mais en choisissant lui-même la forme de son tombeau. À partir de 1914, il passe huit années supplémentaires à charrier des pierres jusqu'au cimetière d'Hauterives et à les assembler, pour former le Tombeau du silence et du repos sans fin, achevé en 1922.

Il écrit: «Après avoir terminé mon Palais de rêve à l'âge de 77 ans et 33 ans de travail opiniâtre, je me suis trouvé encore assez courageux pour aller faire mon tombeau au cimetière de la paroisse. Là encore, j'ai travaillé huit années d'un dur labeur, j'ai eu le bonheur d'avoir la santé pour achever à l'âge de 86 ans le "Tombeau du Silence et du Repos sans fin"

Il y est inhumé après sa mort, survenue le 19 août 1924, à l’âge de 88 ans.

Sa tombe monumentale, d'accès libre, est située à l'entrée du petit cimetière d'Hauterives, près du portail d'entrée. Elle est classée au titre des monuments historiques par un arrêté du 23 mai 2011.

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