Un Fou Noir au Pays des Blancs
ou comment survivre dans la jungle européenne

Réfugié congolais en Belgique, Pie Tshibanda a exercé précédemment le métier de psychologue. Son livre "Un Fou Noir au Pays des Blancs" s'est vendu à plus de dix mille exemplaires et en est à sa 1500ème représentation théâtrale.
Dans cette pièce pleine d'humour, il retrace les sentiments qui habitent tous les réfugiés: l'angoisse du refoulement, les premières difficultés d'adaptation, la nostalgie du pays, de la famille où les enfants grandissent sans leur père et se demandent les raisons de cet abandon. Mais, surtout, l'écrivain congolais scrute d'un œil aigu la société qui l'accueille.
Il décrit les cercles qui peu à peu s'agrandissent pour lui faire place, depuis ce jour où le fou venu d'Afrique, fou de solitude, assoiffé de contacts, prend l'initiative d'aller frapper aux portes de ses voisins belges pour se présenter à eux, les saluer comme les nouveaux venus le font dans son pays. Jusqu'au jour où le curé du village l'invite à venir parler de lui, donner les raisons de son exil, évoquer sa famille lointaine. Pie Tshibanda découvre alors que la solitude n'est pas inéluctable, que la bulle de ses voisins peut aussi cacher des trésors de gentillesse.


On pourrait effectivement facilement détecter les grands événements de l'Histoire en observant les déplacements des populations qui demandent l'asile : ici des protestants français fuyant suite à la révocation de l'Edit de Nantes, là l'arrivée massive d'Irlandais en Amérique suite à la maladie de la pomme de terre, …

Les réfugiés ont effectivement existé à toutes les époques et constituent un phénomène universel.

Le concept d'Etat Nation
Mais le phénomène a pris une tout autre dimension après le première guerre mondiale. C'est effectivement à ce moment que naît véritablement le concept d'Etat Nation et son corollaire, la protection qu'il offre à tous ses citoyens. L'Etat va exercer les droits des individus qui le composent : l'éducation, la santé, les pensions, la justice, ... La personne qui ne peut plus se réclamer d'un Etat est dès lors dans une situation critique. A cette époque, le réfugié vivait non seulement dans des conditions précaires mais il devait garder la nationalité de son pays d'origine sans toutes fois pouvoir en obtenir la protection. Aucun Etat ne pouvait des lors le protéger …

A la sortie de la première guerre mondiale : la SDN
A la sortie de la première guerre mondiale, se crée la Société des Nations (SDN), ancêtre de l'ONU, qui se veut une sorte de parlement mondial. Les frontières se redessinent un peu partout dans les anciens empires et les déplacements forcés de populations se multiplient. Devant l'afflux de réfugiés de toutes origines, se crée en 1921 le Haut Commissariat aux réfugiés, confié au Norvégien Nansen, explorateur célèbre, mais aussi organisateur du rapatriement d'un demi-million de prisonniers allemands et autrichiens. Malgré la faiblesse des moyens mis à sa disposition, l'œuvre de Nansen a été considérable. Il a d'abord créé l'ensemble des services internationaux qui firent face aux flux de réfugiés qui allaient en s'accélérant. Mais surtout, il a mis au point le "certificat d'identité", plus connu sous le nom de "passeport Nansen". Ce document est d'une importance capitale dans l'histoire de la protection internationale des réfugiés : pour la première fois, les réfugiés reçoivent un statut juridique qui ne les force pas à devenir des apatrides ou à changer de nationalité. Le passeport Nansen a été reconnu à l'époque par 54 Etats.

Durant l'entre deux guerres, le "profil" du réfugié a quelque peu évolué. En effet, la principale cause de l'exil résultait des conséquences de la guerre et de la révolution bolchevique. Peu de temps après la guerre, arrive le National socialisme qui suscite un nouveau flux de réfugiés en provenance d'Allemagne, de la Sarre et de l'Autriche. Dès 1943, la guerre civile espagnole jette de nouveaux réfugiés sur les routes. On estime à 30 millions le nombre de personnes déplacées entre 1939 et 1945. Il est clair que le Haut Commissariat devra donner de nouvelles réponses à ces situations. Ces réponses se feront au coup par coup mais les lignes de force qui se dessinent orienteront les solutions d'après la seconde guerre mondiale.

La seconde guerre mondiale a bouleversé le monde comme on le sait : persécution des juifs dans toute l'Europe, constitution d'un bloc communiste à l'Est, … Circonstances qui, comme on peut s'en douter, engendreront de nombreux réfugiés à travers l'Europe.

La seconde guerre mondiale : l'ONU
L'ONU est créée dès 1945 en vue de sauvegarder la paix et la sécurité internationales et d'instituer entre les Nations qui la composent, une coopération économique, sociale et culturelle.

Dans cet esprit, la Déclaration universelle des droits de l'Homme voit le jour le 10 décembre 1948. Le droit de quitter son pays et d'aller chercher l'asile y sont reconnus dans les articles 13 et 14.

Article 13 :
1) Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat.
2) Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Article 14 :
1) Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile dans d'autres pays.
2)Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.


Cette Déclaration ne se prononce cependant pas sur l'obligation des Etats à accueillir les personnes qui veulent user du droit d'asile.

Dans l'immédiat après-guerre, des mesures sont prises pour aider aux rapatriements des nombreux réfugiés. A la fin des opérations mises en place, les problèmes n'ont pas disparu pour autant. Plusieurs centaines de milliers de réfugiés ne veulent rentrer dans leur pays (craintes de persécutions, …) tandis que d'autres arrivent en grand nombre des pays de l'Est devenus zones d'occupation soviétique.

1951 : la Convention de Genève
C'est en 1951 que la Haut Commissariat des Nations Unies pour Réfugiés (UNHCR) fut créé par l'Assemblée générale des Nations Unies. Son mandat, fixé à trois ans éventuellement renouvelables, était d'assurer la protection juridique des réfugiés et de chercher des solutions durables qui permettraient de mettre fin à l'exil. C'est lors de la création de l'UNHCR que le concept de réfugié reçut une définition juridique dans la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés.

"Un Réfugié est toute personne qui se trouve en dehors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays parce qu'elle craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses convictions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social".

En d'autres termes, pour obtenir la reconnaissance du statut de réfugié, quatre conditions sont requises : avoir franchi une frontière; avoir été persécuté ou craindre avec raison de l'être; subir par cette persécution une atteinte à ses droits fondamentaux; être, de ce fait, dans l'incapacité de demander la protection de l'Etat dont on a la nationalité.

Les Nations Unies pensaient que, par la mise en place de telles mesures, le problème des réfugiés allait rapidement être résolu ; il n'était à leurs yeux qu'une suite du conflit mondial, destiné à être rapidement éliminé. Les mesures mises en place à cette époque ne visaient donc qu'à protéger les individus des persécutions politiques.

Cet optimisme fut rapidement démenti par les faits. Les flux de réfugiés se sont non seulement accentués mais également diversifiés et étendus à d'autres régions du globe. Les demandeurs d'asile ne fuyaient pas seulement les persécutions, ils fuyaient également les guerres, les catastrophes écologiques, la famine, l'oppression, … Ils ne demandaient plus l'asile de façon individuelle, il s'agissait maintenant de phénomènes de masse. On peut citer de triste mémoire l'exemple des nombreux boat people qui fuirent le Viet Nam durant les années septante.

La Convention de Genève s'est vite révélée insuffisante, malgré des efforts d'adaptation. Enfin, et cette tendance ne fait que se renforcer, les pays les plus riches ont progressivement adopté des politiques d'accueil plus restrictives, notamment à partir du début de la crise pétrolière des années septante.

En Europe :

1) la Convention de Genève (1951)
La Convention de Genève est le premier texte qui donne un statut juridique au réfugié. Elle ne définit par contre pas les procédures selon lesquelles les demandes d'asile doivent être introduites et suivies. Cette procédure est la prérogative de chaque Etat.

Elle a été modifiée le 31 janvier 1967 par le protocole de New York. En effet, la Convention de Genève était destinée à répondre aux conséquences de la seconde guerre mondiale et n'avait donc qu'une portée limitée dans le temps : le bénéfice du statut était réservé aux personnes qui pouvaient craindre légitimement d'être persécutées par des événements survenus avant le 1er janvier 1951. Le protocole de New York abolit donc la limitation dans le temps et dans l'espace que contenait la Convention de Genève.

La Convention de Genève a été ratifiée par 119 pays, dont la Belgique. Par cette signature, les pays signataires s'engagent à prendre les réfugiés sous leur protection …

Cette Convention porte en elle d'autres limites que celle de la limitation dans le temps.

En effet, le bien fondé de la demande est laissé à l'appréciation des Etats et dépend donc de leur volonté d'accueillir les réfugiés. De plus, il n'existe pas de statut collectif; le demandeur doit dès lors prouver qu'il est PERSONNELLEMENT persécuté. Par exemple, une femme algérienne, journaliste de profession, devrait prouver qu'elle risque de façon personnelle d'être persécutée. Le fait qu’elle soit «fragilisée» de par sa profession et sa qualité de femme ne justifie pas à lui seul qu’on lui accorde la protection d'une autre Etat. Il ne suffit donc pas d'être Kassaïen au Katanga, Kurde en Turquie, Tchétchène en Russie, Tutsi au Rwanda, …

La Convention de Genève ne parle nullement des situations de guerre. Les personnes qui fuient les conflits, où bien souvent leurs droits sont bafoués (viols collectifs, épurations ethniques, …), ne peuvent se revendiquer de la Convention de Genève. Elle ne reconnaît pas non plus les réfugiés économiques : ceux qui fuient la famine, le chômage, la misère, ... Ceux-ci relèvent de l'immigration qui, pour rappel, a été stoppée en Belgique dès 1974.

Un peu partout en Europe, on assiste à un durcissement de la politique d'asile : mesures de dissuasion, procédures expéditives, … qui ont pour but avoué de faire baisser les demandes.

2) les accords de Schengen (1985)
La Convention d'application de l'Accord de Schengen a été signée par plusieurs Etats européens, dont la Belgique, le 19 juin 1990. Elle vise à la suppression des contrôles aux frontières internes à l'espace Schengen. Pour ce faire, elle organise et garantit un espace de sécurité à l'intérieur de ces frontières et harmonise les politiques d'asile des différents pays concernés (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et bien entendu la Belgique).

Les contrôles aux frontières externes sont renforcés. Ne peuvent accéder à l'espace Schengen que les personnes qui justifient le but de leur séjour, qui prouvent qu'elles ont des moyens de subsistance suffisants pour leur séjour, qui sont en possession de documents officiels ou d'un visa pour les 130 pays pour lesquels cela est nécessaire, qui ne sont pas considérées comme un "danger possible pour l'ordre public, la sécurité nationale ou les relations internationales d'un des Etats signataires de la Convention", et enfin qui ne sont pas signalées aux fin de non admission.

3) la Convention de Dublin (1997)
La Convention de Dublin vient compléter les Accords de Schengen. Elle est effective depuis le 1er septembre 1997.

Si un demandeur d'asile introduit une demande dans un pays donné, c'est celui-ci qui sera dans l'obligation de la traiter. On assistait auparavant parfois à un sordide jeu de ping-pong où le réfugié se voyait renvoyé d'un pays à l'autre, ces derniers se renvoyant mutuellement la responsabilité de l'asile. Un demandeur débouté du droit d'asile ne pourra par contre plus faire une autre demande dans un pays voisin.

Dans un cadre régional cette fois, d'autres traités internationaux et résolutions d'organisations internationales ont été à l'origine de progrès importants.

En Afrique :
la Convention d'Addis Abebba (1969)
L'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) a adopté le 10 septembre 1969 une convention qui répond aux problèmes spécifiques de l'Afrique. Cette convention a été ratifiée par 40 pays d'Afrique et est entrée en vigueur en 1974.

L'Afrique, du fait des guerres tribales survenues au lendemain de la décolonisation, a dû faire face à de gros problèmes d'asile. Elle est actuellement, malgré ses difficultés économiques, le continent qui accueille le plus de réfugiés. Malgré cela, la Convention d'Addis Abbéba donne une définition plus large du statut de réfugié :
"toute personne qui, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité".

Elle permet une protection plus globale avec l'octroi de l'asile collectif, évitant dans certains cas les évaluations individuelles et répondant de cette façon plus rapidement et humainement à des situations de crise.

En Amérique latine :
la Déclaration de Cartagena (1984)
La Déclaration de Cartagena va également dans le sens de l'élargissement du statut de réfugié :
"Les personnes qui ont fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur liberté étaient menacées par une violence généralisée, une agression étrangère, des conflits internes, une violation massive des droits de l'Homme ou d'autres circonstances ayant perturbé gravement l'ordre public".

Toutefois, il est utile de préciser que si cette Déclaration est tout à fait progressiste, elle n'est hélas nullement contraignante. En effet, d'un point de vue juridique, une Déclaration n'est rien de plus qu'une intention, tandis qu'une Convention est un accord multilatéral contraignant les parties qui l'ont signée.

Il n’en reste pas moins que la Déclaration de Cartagena prévoit spécifiquement qu'une violation massive des droits de l'Homme peut justifier l’octroi du statut de réfugié. C’est intéressant dans la mesure où c'est la première fois que l'on parle de violation MASSIVE des droits de l’Homme. Par ailleurs, la Déclaration parle de protection des DROITS HUMAINS: ceux-ci ne renferment-ils pas également les droits économiques et sociaux ? En vertu de ce principe, les réfugiés économiques, fuyant la misère, la famine, …, pourraient dès lors être reconnus comme réfugiés stricto sensu.

Si par malheur la guerre éclatait en Europe, l’on voit donc que nous aurions plus de facilités à trouver asile dans les régions défavorisées d'Afrique et d'Amérique latine. Cocasse, non ? Cette mise en perspective est avant tout intéressante en ce qu’elle permet de voir que le concept de réfugié évolue, afin de répondre aux circonstances et époques nouvelles.

Actuellement dans le monde, une personne sur 120 est un réfugié, et il s’avère que la plupart des réfugiés se trouvent en Afrique.

En 1998, le HCR prenait en charge 22.376.300 réfugiés. 66% de ces réfugiés se situent en Afrique et en Asie, contre seulement 32,7% en Europe et en Amérique du Nord (1). Certains diront que les réfugiés proviennent pour majeure partie de ces régions. Certes. Mais n'oublions pas que depuis la guerre des Balkans, l'Europe produit, elle aussi, des flux de migration. Son taux d'accueil n'a pas augmenté pour autant …

A ces 22.376.300 réfugiés, il faut encore ajouter 30.000.000 de personnes déplacées.

Prenez vos calculettes : cela fait plus de 50.000.000 d'êtres humains en situation d'exil, réfugiés ou déplacés.

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