«Un extraordinaire monologue des plus savoureux.
Une farce truculente!»
Roger Simons – Les Feux de la Rampe

Dans un lieu improbable débarque un homme barbu.
Il traîne derrière lui une énorme malle qu’il transporte difficilement. ll ressemble un peu à… Il a soif, il a faim. Il bénéficie d’une permission de l’au-delà pour laver son nom. Il nous regarde. Intrigué de voir ce monde groupé devant lui. Après quelques regards envers ces gens étranges d’un autre monde, celui de la terre, l’homme raconte…


« Ok, ok, tu peux y aller, mais pas d’agitation ! » Monsieur Karl Marx, né en 1818, décédé en 1883, a enfin obtenu une autorisation spéciale du paradis : revenir sur Terre – une heure, pas plus – afin de donner une ultime leçon de philosophie. Mais l’administration, un peu bordélique et paresseuse - même aux cieux -, cafouille, et Marx atterrit non pas dans le Soho londonien, où il avait trouvé refuge, mais dans le Soho new-yorkais. Damned ! Aux States, le pays du libéralisme le plus forcené, son ennemi de toujours !

Karl, fin orateur, ne se démonte pas. Avec bonhomie, il salue son auditoire, « vous vous demandez sans doute comment je suis arrivé jusqu’ici (il sourit avec malice), les transports en commun ! » et se met tout de go à l’apostropher : « J’ai lu vos journaux. Ils proclament tous que mes idées sont mortes ! Mais il n’y a là rien de nouveau. Ces clowns le répètent depuis plus d’un siècle. […] J’ai vu les luxueuses publicités dans vos magazines et sur vos écrans (il soupire). Oui, tous ces écrans avec toutes ces images. Vous voyez tant de choses et vous en savez si peu. Personne ne lit-il l’Histoire ? Quel genre de merde enseigne-t-on dans les écoles par les temps qui courent ? »

Karl Marx, le retour est une farce. Truculente. Truffée de bons mots et de bonnes idées irréductibles : liberté, égalité, fraternité.

Un joyeux monologue où le père du Capital devient personnage de fiction. Il se raconte sans s’essouffler. Et tout y passe, sa famille, l’exil, la dèche, l’amitié, ses engueulades avec ce pique-assiette de Bakounine, la Commune de Paris, la folie de croire aux lendemains qui chantent…

L’historien Howard Zinn a écrit ce texte en 1999, et les quelques vérités qu’il énonce résonnent étrangement aujourd’hui : « La guerre pour soutenir l’industrie, pour rendre les gens tellement fous de patriotisme qu’ils en oublient leur misère. Des fanatiques religieux pour promettre aux masses que Jésus va revenir. Je connais Jésus. Il n’est pas prêt de revenir… » Avec un vrai talent de dialoguiste, l’historien donne chair à son personnage, ce bon vieux Karl, quelque peu malmené par une épouse vache mais charmante : « Engels et toi, disait-elle, vous écrivez sur l’égalité des sexes, mais vous ne la pratiquez guère. » Vlan !

Humour et politique font ici bon ménage. Et même déménagent : Karl Marx, le retour, ou l’antidote à la résignation.

Martine Laval - Télérama, 26/06/2004

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