Musical (1986)


Musique: Benny Andersson • Björn Ulvaeus
Paroles: Tim Rice
Livret: Richard Nelson

Chees est sorti en version disque avant d'être créé sur scène, et une série de concerts de présentation a été mise en place.

L'idée de Chess traînait dans l'esprit de Tim Rice depuis 1979. Le but n'était pas tellement d'écrire un musical parlant du jeu des échecs, mais de décrire comment la guerre froide a affecté les vies de ceux qu'elle a touchés.

Lors d'une réunion de préparation de la création australienne d'Evita, il a demandé à Andrew Lloyd Webber s'il serait intéressé de composer la musique de Chess, mais Andrew était occupé avec ses propres projets (notamment Cats).

Tim a alors écrit un synopsis de 5 pages en 1980, mais c'est grâce à Richard Vos, producteur de Broadway, que tout a alors vraiment commencé en 1981. Vos avait entendu que Tim recherchait un compositeur pour Chess, et il savait également Benny Andersson et Bjorn Ulvaeus voulaient faire quelque chose en dehors d'ABBA, par exemple un musical. "Je n'ai d'abord pas compris ce dont il parlait, raconte Tim Rice, lorsque Vos m'a demandé si j'avais entendu parler de 'Arbour'. Je pensais qu'il s'agissait d'une sorte d'arbre. Mais lorsqu'il me parla de 'Waterloo' et de 'Dancing Queen', tout est devenu clair".

Immédiatement séduit, Tim partit pour Stockolm et le 15 septembre 1981, il a rencontré Benny Andersson et Bjorn Ulvaeus. A ce moment, Chess était un sujet parmi bien d'autres, mais c'était le plus séduisant et donc celui pour lequel ils optèrent. Tim disait: "Le jeu d'échecs est magnifique parce que c'est de la politique en petit". Quand les quatre membres d'ABBA vinrent à Londres le 5 novembre 1982 à l'occasion de la sortie de leur disque Greatest Hits célébrant les 10 ans du groupe, Benny Andersson et Bjorn Ulvaeus ont fait l'annonce officielle de leur participation à Chess.

Le trio ne disposait pas de tout le temps voulu. Tim travaillait à l'époque avec Stephen Oliver sur Blondel et Abba occupait encore grandement Benny et Bjorn. En 1983, le trio voyagea beaucoup entre Londres et Stockholm. Des chansons furent écrites et ils firent même un voyage à Moscou pour "sentir" l'ambiance de la capitale mondiale du jeu d'échecs.

Tim, Benny et Bjorn étaient accompagné de Richard Vos. Ce voyage qui se voulait une découverte du monde des échecs n'a pas du tout atteint son but. Mais le caviar était très bon et ils ont pu aborder en profondeur un sujet important: la bureaucratie soviétique. Un seul exemple: Tim est grand et il aime dormir "confortablement". Or la taille des lits soviétiques ne lui permet pas de dormir dans un lit single. Il a donc demandé d'occuper seul une chambre avec un lit double. Scandale bourgeois!

Le second scandale survint lorsque Bjorn et Richard décidèrent de visiter la place Rouge … Mais ils ne voulaient pas le faire en présence de touristes! Ils choisirent donc un horaire particulier: 3 heures du matin. Il faisait froid, la neige crissait sur les pieds, tout était magnifique. Jusqu'à l'apparition subite de soldats soviétiques. Comment expliquer à un soldat soviétique quand on est un musicien suédois qu'une promenade nocturne sur la place rouge ne signifiait pas immédiatement une mise en cause de la sécurité de l'URSS? Avec une présence d'esprit impressionnante, Bjorn sortit une photo de sa poche et en la montrant aux soldats dit :"Abba". Ceux-ci très impressionnés répondirent : "Abba, Abba"… C'est le seul mot de suédois que les russes connaissent. Quelques autographes plus tard, ils étaient libres! "Nulle part dans le monde nous avons été considéré à un tel point pour des stars", avouent Benny et Bjorn.

Tim avait abordé jusqu'à présent dans ces musicals deux fois la Bible (Joseph and the Amazing Technicolor Dreamcoat, Jesus Christ Superstar), la politique argentine (Evita) et un ménestrel médiéval (Blondel).

Cette fois ce serait la guerre froide et les échecs. "Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire un musical au départ d'un tel sujet" affirme Tim, pour se rassurer sans doute. Il faut dire qu'à l'époque les championnats du monde d'échec sont palpitants car ils se placent dans une période de tensions internationales: la guerre froide. Un premier exemple: en 1972 l'américain Fischer est le challenger face à un champion soviétique!!

Et un américain en pleine Guerre Froide allait battre un Russe aux échecs alors que les échecs soviétiques avaient tout gagné depuis vingt-cinq ans. Un autre exemple: en '78 et en '81 le russe Karpov affronte Korchnoi, un champion qui avait fui l'URSS!
Karpov - Korchnoi
Depuis qu'il a pensé en 1979 à Chess, Tim Rice s'intéresse particulièrement aux échecs. Il se rendra à Merano en 1981 pour assister aux match du Championnat du monde, ce qui lui fournira l'idée de la scène d'ouverture tyrolienne. Quand le champion du monde Anatoly Karpov visita l'Angleterre en 1982 et 1983, il s'arrangea pour qu'il assiste à une représentation de Evita et à une représentation de Blondel. Il mangea avec lui après chacune des représentations. Lors de ces rencontres, il a appris beaucoup sur l'univers du champion mais surtout il a découvert que Karpov était encadré, c'est-à-dire suivi partout par un certain Vladimir qui n'avait de cesse que d'empêcher Karpov de s'occuper de quoi que ce soit qui ne concerne pas les échecs.

Tout cela a évidemment alimenté les réflexions de Tim, Benny et Bjorn durant ces années et donné la couleur des personnages soviétiques.

Dès le début de leur collaboration, Benny et Bjorn ont exprimé à Tim leur souhait de réaliser un album concept avant d'affronter la scène. "Pour Bjorn et moi-même, explique Benny, nous voulions avoir un regard sur le projet entier. Nous sommes habitués à l'enregistrement en studio et nous voulions entendre l'œuvre avant de la voir sur scène." Tim est totalement d'accord d'adopter cette démarche. Il racontait à tous les journalistes le bonheur qu'il y avait à travailler sur un album et de seulement ensuite s'occuper de la transformation pour la scène. Pour l'album, il suffit de se soucier des sons provenant des chanteurs et des musiciens. On ne s'inquiète pas de l'aspect, il n'y a pas de décors, pas de costumes, pas de metteur en scène, … On peut donc se concentrer sur l'œuvre musicale.

La musique que Bjorn et Benny créèrent pour Chess était une filiation directe du travail pour Abba. Mais comme le dit Tim Rice, Chess fut aussi un moyen de mettre fin à Abba. Des centaines de cassettes voyagèrent entre Stockholm et Londres. On affinait petit à petit l'histoire et les caractères. Comme souvent dans ce genre de démarche créative, les compositeurs plaquent sur leurs notes des paroles temporaires qui servent seulement à donner une âme à la musique. Il se fait qu'ici, l'un des futurs tubes du musical, One Night in Bangkok, est sorti intégralement de la plume des compositeurs, notes et paroles. Tim Rice a décidé de garder les textes de Bjorn et Benny.

Il y a un autre énorme intérêt à produire un album-concept avant de se soucier de la scène. Cela permet d'avoir des stars, même dans les petits rôles. Barbara Dickson et Denis Quilley, par exemple, acceptèrent de chanter sur l'album-concept mais n'avaient nullement l'intention de participer au spectacle. Barbara Dickson s'explique: "Je n'ai jamais voulu prendre part au spectacle. Je n'aurais eu qu'un petit rôle et je ne désire pas m'enfermer 3 heures par jour dans un théâtre pendant six mois pour paraître quelques minutes sur scène."

A partir de 1983, le centre de bouillonnement autour de Chess se focalisa à Stockholm, aux Polar Records Studio, l'ancien studio du groupe Abba. Seuls le London Symphony Orchestra et les Ambrosian Singers enregistrèrent leur contribution à Londres.

Cela n'est pas techniquement très compliqué d'enregistrer la musique à Londres puis d'y rajouter les voix des chanteurs enregistrées à Stockholm. Et c'est d'ailleurs assez commun. Ce qui l'est moins c'est de rajouter les voix en plusieurs enregistrement. Par exemple, Elaine Paige et Barbara Dickson, qui ont des agenda à ce point compliqués, n'ont jamais pu enregistrer ensemble leur duo I know him so well. On a d'abord enregistré Elaine Paige et Barbara Dickson a rajouté sa partie plus tard.

Leur seul souci était donc de produire un bon album. Bien sûr, il s'agit de l'album concept d'un futur musical. Mais rien ne sera décidé quant au passage à la scène avant de connaître la réaction du public par rapport à l'album.

L'album concept qui sort en 1984 est le premier fruit de leur collaboration. Il est toujours très populaire aujourd'hui. La dernière session d'enregistrement de cet album concept a eu lieu 28 septembre 1984. L'album a été produit par Tim, Benny Andersson et Bjorn Ulvaeus agissant en tant que "3 Knigths Ltd". L'enregistrement a été réalisé en Suède (Tim fait environ 41 voyages à Stockholm) aux Polar Records (où Benny Andersson et Bjorn Ulvaeus avaient enregistré les disques d'ABBA). Le cast de l'album était mixte, britannique (Elaine Paige (Florence), Barbara Dickson (Svetlana), Murray Head (Américain)) et suédois (Tommy Korberg (Russe), Bjorn Skifs (arbitre)).

Mais le lancement de l'album va être accompagné d'une démarche jusqu'alors inexploitée. En effet, une tournée de 5 concerts en 6 jours est organisée. S'il leur était difficile de s'engager pour six mois dans un théâtre, les artistes ayant participé à l'album acceptèrent de se lancer dans cette tournée d'une semaine qui devait les mener de Londres jusqu'en Suède: Londres (Barbican Centre), Paris (Salle Pleyel), Amsterdam (Concertgebouw), Hambourg (CCH) et Stockholm (Berwaldhallen). Seule Barbara Dickson va être remplacée par Karin Glenmark, une chanteuse suédoise.

Sans l'aide de la firme Saab, cela n'aurait pas été possible. En fait, la firme automobile sortait à l'époque un nouveau modèle, la 9000 Turbo 16. C'est Benny et Bjorn qui ont contracté le PDG, Christer Skogsberg. Celui-ci a été séduit par l'univers d'Abba et est certain que cela profitera autant à Saab qu'aux créateur du musical.

Cette tournée va coûter très très cher: £425.000 de l'époque. Il faut dire que tout le London Symphonic Orchestra est de la partie dans les cinq villes et que les salles choisies sont toutes chaque fois les meilleures. Saab en profitera pour inviter aux concerts 300 à 400 clients…

Tout cela a très vite pris le visage d'une gigantesque opération militaire. Le Henry Wood Hall à Wandsworth qui accueille d'habitude les répétitions du London Symphonic Orchestra, a du voir son énergie électrique renforcée par des groupes électrogènes extérieurs. Il n'y avait pas assez de loges pour tout le monde. On a du squatter les toilettes. On n'a jamais su rentrer dans le théâtre la Saab qui devait servir d'image pour le sponsor, les portes et fenêtres étant trop petites!!!

Le 27 octobre 1984, le soir du concert à Londres, alors que les gens se battent encore à l'entrée pour obtenir un billet, Tim, Beny et Bjorn s'avancent et chantent à capella:
Whether you are pro or anti
Or could not care less
We are here to tell you
We are here to sell you Chess


C'était le début du merchandising de Chess. Le concert fut un véritable triomphe. Le lendemain (!), c'était au tour de Paris. Les problèmes ne s'arrêtent pas puisque le camion, qui transporte tous les instruments de musique, rate la malle qui doit l'emmener d'Angleterre en Europe continentale. Cet incident forcera les musiciens à jouer à la salle Pleyel de Paris sans avoir fait aucun test sonore préalable. En route à nouveau vers Amsterdam. Mais là aussi retard, car on se rend compte que les hôtesses Saab engagées pour conduire les voitures Saab transportant les artistes, ont plus été choisies pour leur physique que pour leur conduite automobile ou la lecture d'une carte. Après Hambourg et Stockholm, la mini-tournée touche déjà à sa fin. Il est temps de se relaxer et d'attendre le verdict du public…

Deux des titres de l'album ont été des hits: One Night in Bangkok (chanté par Murray Head) est monté en 9ème position du classement des ventes aux USA et 12ème en Angleterre. Mais la chanson a été classée numéro un en Australie, en R.F.A. (Allemagne), en Belgique, en Autriche, en Suisse, en Afrique du Sud, au Danemark, en Hollande, en Suède, et en Israël aussi bien. En France, où Murray Head était déjà connu, le 45 tours a été la vente la plus fulgurante de l'époque. Les ventes mondiales de One Night in Bangkok ont dépassé les 3 millions. La vidéo a été diffusée sur MTV aux Etats-Unis, et en Grande-Bretagne elle a gagné en février 1985 le prix de la meilleure vidéo anglaise d'un chanteur.
I Know Him So Well (chanté par Elaine Paige et Barbara Dickson) reste numéro un pendant quatre semaines en février et début mars 1985 dans les charts britanniques. Ce disque était le second numéro un de Tim Rice, huit ans après Don't Cry For Me Argentina. I Know Him So Well sera enregistré plus tard par Whitney Houston en duo avec sa mère Cissy. One Night In Bangkok et I Know Him So Well ont été chantées dans Top of the Pops.


Retour à la page précédente